Le Cameroun des lions indomptables est un pays si inventif qu’il nous surprend parfois dans des domaines où on l’y attend le moins. Après les motions de soutiens rédigés par certaines « élites » au nom de leurs ressortissants, des messes d’action de grâce suivies d’orgie, organisées pour remercier le président de la république d’avoir nommé un fils du terroir, les opérations « villes mortes », voilà que certains hommes politiques brandissent depuis quelques années des memoranda.
Le champ d’expression politique au Cameroun s’est-il réduit au point où n’apparaissent plus que ces formes primaires ? Où sont passées les joutes oratoires ? Les débats d’idées ? Les meetings où femmes et hommes politiques battent l’estrade ?
Encore une fois il n’est question ici de condamner ces formes mais plutôt de s’interroger sur leurs dérives inquiétantes.
En effet, il y a quelques mois certains députés RDPC soumettaient leurs revendications non pas au sein de l’hémicycle mais en dehors avec le projet d’organiser une marche qui fut d’ailleurs annulée. Pourquoi cette marche fut-elle annulée ? On comprendra par la suite que le processus engagé à l’époque fut interrompu pour laisser le temps aux plus hautes autorités de l’Etat de trancher. Ce qui fut fait avec la décision du Président de la République d’octroyer des places au concours de l’école normale de Maroua, au delà du nombre demandé par ces députés.
Une telle décision était-elle normale ? Oui et Non
Oui dans la forme car il est du devoir des responsables politiques de répondre aux aspirations de leur peuple si tant est qu’elles correspondent à l’intérêt général. Un responsable politique, à plus forte raison le Président de la République, est comme un général qui doit conduire ses troupes et en aucun cas les suivre notamment dans leurs pulsions émotionnelles. On aurait aimé d’ailleurs que cette sollicitude de la part de l’autorité supérieure soit effective dans d’autres domaines en l’occurrence la modification de la constitution, la nomination des membres d’ELECAM.
Non dans le fonds car la réponse ne s’inscrivait pas dans une problématique nationale mais plutôt régionale. Non une deuxième fois parce qu’elle créait non seulement un précédent dans l’histoire de notre jeune démocratie en pleine gestation mais aussi un appel d’air dont certains hommes politiques en herbe ou en mal d’inspirations, n’hésiteraient pas à user et en abuser.
Après les élites des provinces de l’Est, du Centre et du Sud, c’est au tour de celles du Nord-Ouest de revendiquer des infrastructures au travers d’un mémorandum.
Demain à qui le tour ?
Au nom de quoi une province riche en cobalt, nickel, fer ou pétrole, gaz revendiquerait indistinctement une manne particulière ?
Ne faut-il pas rappeler justement à ces « élites » que nombreux sont les camerounais, elles y comprises, qui ont été nourris pendant des décennies grâce au travail de nos vaillants producteurs de cacao, café, coton sans que ceux-ci ne revendiquent une dîme exclusive ?
D’ailleurs un des vôtres, Ministre de son état, Grégoire OWONA pour ne pas le citer ne s’y est pas trompé dans une interview récente au quotidien le « Jour », à la question « la confection de memoranda de tel ou tel coin, les mises en garde du Minrex aux diplomates étrangers, le procès de la justice contre la presse… ne vous inquiètent-ils pas quant à l’avenir du Cameroun ? » répondait :
« Non, bien au contraire ! J’y vois la manifestation contrastée de l’affection des uns et des autres pour le Cameroun. Il faudrait peut-être cependant éviter de se laisser emporter par son élan, en remettant en cause des principes sacro-saints tels que la non-ingérence ou l’indivisibilité de la République. Il y a des cercles d’expression légaux, des partis politiques, des syndicats, des associations de développement et autres. Le dialogue avec le gouvernement ou les institutions devra se faire dans les cadres légaux. Ils sont nombreux. On peut citer les conseils municipaux, l’Assemblée nationale et bientôt le Sénat et les Conseils régionaux, entre autres. Sans oublier la presse. Mais, nous devons chacun, savoir jusqu’où ne pas aller trop loin, respecter notre pays, nos élus et les autres dans nos revendications souvent intempestives. Nous devons éviter de déraper. Le Cameroun ne saurait être gouverné sous la menace de mémorandums par ci et là ………….. »
Oui il existe des cercles d’expression légaux dont les députés « Honorables » de surcroît de la majorité parlementaire doivent être les premiers à respecter. Oui l’indivisibilité de la République ne saurait souffrir de quelques calculs politiciens d’où qu’ils viennent.
Honorables députés comme on vous appelle en raison d’ailleurs de l’insigne honneur d’avoir été choisis par les électeurs au terme parfois de compétitions rudes, vous êtes par définition des représentants du peuple.
Vous n’êtes ni au dessus ni en dessous des lois mais en revanche vous avez encore plus de devoirs que d’autres.
Vous avez pour mission essentielle de proposer des lois et/ou voter des projets de loi présentés par le gouvernement. Ces lois ne sont pas institue persona autrement dit elles sont censées s’appliquer à l’ensemble du peuple indépendamment des régions, des ethnies encore moins des confessions.
Avez-vous le droit de manifester votre humeur ?
Certainement oui, pas plus ni moins que les autres citoyens de la république.Mais en quoi votre démarche via les memoranda en tant que députés RDPC pose t-elle problème ?
1- Vous appartenez au parti majoritaire à l’assemblée depuis plusieurs législatures. Vous soutenez les gouvernements successifs du Président Paul Biya depuis 27 ans sans discontinuer. Vous avez eu la possibilité et la capacité de voter des lois susceptibles d’améliorer les conditions de vie des camerounais et en particulier dans les domaines de l’éducation et d’autres infrastructures. Tout récemment encore vous en avez eu la possibilité avec le vote du budget de la nation. N’avez vous pas remarqué que de nombreux projets sont annoncés et jamais réalisés? Que le taux de réalisation du BIP (Budget d’Investissement Public) est très faible dans vos circonscriptions ? N’êtes vous pas coresponsables de l’inertie gouvernementale en tant contrôleurs de l’action du gouvernement ? Que vous faut-il de plus pour mieux assurer votre rôle ? Dites le haut et fort dans l’hémicycle, à travers la presse et nous pensons que le peuple vous suivra. Les populations attendent depuis 1983 les universités, les hôpitaux, l’électricité, l’adduction d’eau. Que de promesses non tenues avec votre bénédiction. En effet vous avez toujours été des excellents oracles de la politique des « Grandes ambitions » dans vos circonscriptions respectives.
A quels résultats vous attendiez-vous ? 80% du budget que vous avez voté est consacré au fonctionnement et seulement 20% à l’investissement. La part réservée à l’éducation est certes en progression mais ne réponds pas aux attentes de l’heure. Le taux de réalisation du BIP dans les régions dont vous vous targuez de défendre demeure très faible en raison de nombreux dysfonctionnements pour ne pas parler de corruption (dixit le ministre chargé de l’inspection de l’Etat).
2- Vous opposez la misère des camerounais de vos régions dont vous ne vous êtes jamais souciés sauf la veille d’une élection ou d’un remaniement ministériel, à celle des autres camerounais. Les camerounais qu’ils soient du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest sont victimes de la mauvaise gouvernance dont vous n’avez pas été capables de combattre ni de stopper. Pire lorsque ces camerounais ont besoin de vous notamment dans leur quête effrénée de sécurité, point de manifestation de votre part. Eleveurs, enfants kidnappés, rançonnés, égorgés. Même les représentants de l’Etat y passent : forces de l’ordre, administrateurs. Insécurité routière, surpopulation carcérale, problèmes hospitaliers etc …Vos memoranda auraient eu de sens civique si vous interpelliez les autorités sur les problèmes dépassant vos régions d’origine. On aurait souhaité que vous ayez la même réactivité lors des tueries de Bakassi, des attaques de Limbé. Par votre démarche vous démontrez que vos électeurs ne sont que des objets de marchandage politique entre vos mains, qu’ils ne pèsent que sur la balance d’un strapontin ministériel. Mais sachez que nos compatriotes des différentes régions dont vous vous prévalez les défenseurs ne sont point dupes et qu’à force de tirer sur la corde, elle finira par se casser et plus dure sera la chute.
A travers ces memoranda, vous faites vous-même le constat de l’échec des politiques que vous avez longtemps soutenu. Vous avez le devoir de faire votre propre bilan en tant qu’honorable député durant toutes ces législatures, celui du gouvernement que vous avez toujours soutenu sans sourciller, ensuite vous projeter dans un avenir court, moyen ou long terme.
Ce bilan se lit à l’aune des objectifs que s’est fixé ce gouvernement dont vous avez votez l’intégralité des lois et surtout aux résultats atteints. Force est de reconnaître que ce bilan est globalement négatif tout au moins en matière d’infrastructures scolaires puisque vous en revendiquez d’autres. Comme disait un célèbre homme politique français Jean Pierre Chevènement pour ne pas le citer, « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».
En le paraphrasant presque, honorables députés du RDPC, vous avez encore l’opportunité de faire amende honorable auprès de vos électeurs et du peuple camerounais qui souffre le martyr depuis les lustres. Reconnaître vos erreurs vous grandirait car l’homme politique n’est point jugé sur ses erreurs mais sur sa capacité à gérer celles-ci.